Mon père jouait de la vielle à Bournezeau, raconte Jean Bernereau

Mon père jouait de la vielle à Bournezeau, raconte Jean Bernereau
Mon père, Alphonse Bernereau, forgeron à Bournezeau, né en 1891, était d’une lignée de vielleux par sa mère. À 43 ans, en 1934, il avait hérité de la vielle de son oncle maternel Antonin Mercereau, qui la tenait lui-même de son père Pierre Mercereau, dit « Robin », eux aussi forgerons et musiciens. C’était une vielle « ronde » du luthier Colson de Mirecourt.
 
« O l’é ine vielle d’o malur » disait-on dans la famille Mercereau. Ces forgerons, en effet, s’occupaient plus de faire sonner la vielle que de faire sonner l’enclume et chacun à son tour, le père et le fils, avait ruiné leur entreprise.
 
Ayant la vielle entre les mains, mon père apprit à en jouer, mais raisonnable et bon gérant de sa forge, il se produisit beaucoup moins que ses prédécesseurs. Je me souviens quand même, que pour un temps, la vielle « fit du bonheur » alentour dans les veillées ou les fêtes de la famille.
 
Mon père allait aussi parfois faire un peu « d’animation » dans certains cafés du bourg et faisait sonner sa vielle chez Renaud au Café des Amis, au café Chauveau…
 
Je me souviens aussi qu’il se déplaçait dans les fermes pour des veillées ou des noces… chez Avril au Chêne Bertin, à Fremier chez les Paquereau...
 
Il participait également à des veillées plus intimes chez des voisins ou amis : chez Berthe Tricoire, les bourreliers sur la place (actuelle bijouterie Jaulin) ou chez Joseph Leboeuf, le coiffeur de la rue du Centre, son camarade de communion, tous deux mariés à des « toulousaines » rencontrées dans les circonstances de la guerre 14-18. Une demoiselle Germaine Labatut pour Alphonse, mon père (à ne pas confondre avec ma propre épouse, Germaine, elle aussi !).
 
Mon père y prenait goût et peu à peu ces sorties, qui se faisaient à vélo, la vielle bien à l’abri dans sa caisse sur le porte bagage, commencèrent à se faire plus fréquentes. - Mais ma mère veillait au grain ! -
 
Une des dernières veillées, et pour cause vous allez le comprendre, s’est passée chez Raoul Lorieu à l’Oisellière : la soirée s’était passée au mieux pour le plus grand plaisir des amateurs de musique, de chansons et de danses et sans doute copieusement arrosée de « remontant » pour aider Alphonse à tourner la manivelle de la vielle et rafraîchir son gosier de chanteur. La fête finie, au moment du retour, vers les trois heures du matin, le vélo paru récalcitrant : impossible de le chevaucher. Prudent, mon père fait le chemin à pied jusqu’au bourg en s’appuyant au guidon, la vielle sur le porte bagage dans sa caisse en carton. Arrivé sans encombres à la maison, range le vélo à la forge, rentre avec précaution, dépose la caisse de la vielle sur la table et, à quatre pattes, réussit à monter l’escalier sans faire de bruit pour se coucher. Ma mère ne fut pas dupe. Dès le matin ce n’est pas la vielle qui a sonné mais les oreilles de mon père qui se prit un sermon bien senti !
 
Pas tranquille, le copain Raoul s’est rendu de bonne heure au bourg pour savoir si le retour de l’artiste s’était bien passé et frappe à la maison Bernereau. Il fut reçu vertement par dame Germaine qui lui envoya à travers la porte avec son accent toulousain : « Mon sacré fi-de-garce, t’es pas prêt d’la r’voir la vielle ! »
 
Ma mère avait, elle aussi, toujours considéré cet instrument comme un objet maléfique et ne voulait pas qu’arrive à nouveau ce qui s’était passé autrefois. La vielle fut rangée pour ne plus sonner.
 
Cependant vers 1950 mon père fut sollicité lors de la fête d’un 14 juillet : nouveauté pour l’époque, l’électricien Louis Texier avait installé une sono dans tout le bourg. La vielle eut droit de sortie exceptionnelle pour ravir une dernière fois les bournevaiziens avec une complainte (Le voleur dans les églises), un avant-deux ou La fille de la meunière.
 
Au décès de mon père en 1961, dans les circonstances du partage de ses biens, l’instrument faillit être vendu. Je m’y suis fermement opposé et l’héritage de la vielle est allé à mon fils aîné Jean-Pierre, petit-fils d’Alphonse.
 
Recueilli et transcrit en janvier 2012
par André Seguin
Catégories : Musiciens de tradition ;